Chapitre second – II


A vrai dire, je ne verrai sa présentation que quelques semaines plus tard. Le journaliste qui m’accompagne fait les images de celle-ci tandis que je saisis les premières impressions de Sigolène au sortir de la sienne. Je poserai quelques rapides questions à Margaux quelques minutes plus tard alors qu’elle quitte l’hôtel. Margaux est d’une assurance surprenante tout comme l’est son roman. Je ne sais trop quoi en penser. Ce jour-là, je n’ai pas encore lu son ouvrage et la thématique d’une gamine qui trompe son ennui à Cavaillon en faisant la pute a de quoi désarçonner. Huit jours plus tard, elle sera absente des présentations qui seront faites aux acheteurs des grandes librairies. Je sens l’intérêt qu’il y a à équilibrer mon film au travers du regard des deux destinées de ces jeunes femmes mais oublie d’en parler à l’éditeur et à l’intéressée. Je sais que je ne la verrai plus avant la rentrée. C’est au montage que l’évidence apparaîtra.

Huit jours plus tard, je passe deux journées ave Sigolène. Un enchaînement de rendez-vous où, tour à tour, elle rencontre des dizaines d’acheteurs de grands réseaux et de librairies importants. Après un premier rendez-vous, nous nous retrouvons à la maison de l’Amérique latine devant une centaine de libraires des centres Edouard Leclerc. Sigolène, tout comme les cadres de Plon, pourtant habitués de l’exercice, sont impressionnés par le nombre de libraires venus de toute la France.

Denis Bouchain présente Sigolène Vinson

Denis Bouchain, lors de la présentation aux centres Leclerc

Denis Bouchain qui l’accompagne au sein de Plon la présentera et offre de comprendre le parcours qu’a fait Sigolène pour être publiée. Des années qu’ils se tournaient autour comme il le dit et la rencontre d’émotions communes qui achèvent de convaincre de la volonté de publier ce premier roman. Face à la centaine de personnes, Sigolène refait l’exercice auquel elle s’habitue et présente une nouvelle fois l’Afrique, le barreau à Paris, les désillusions, les angoisses, le CAP, centre d’assistance psychiatrique où elle passera cinq jours après s’être effondrée en plein tribunal. En l’absence de Margaux, restée réussir brillamment ses examens à Marseille pour intégrer Normale Sup,  la directrice littéraire de Plon, Murielle Beyer présente ‘Latex, etc ’le livre de Margaux.

Muriel Beyer, directrice littéraire de Plon, présente le livre de Margaux Guyon à un panel d'acheteurs.

Muriel Beyer présente le livre de Margaux Guyon à un panel d'acheteurs.

« le travail d’une fille très intelligente, khâgne, hypokhâgne, adolescente qui s’ennuie dans son sud natal, dans un village qu’on ne nomme pas mais qui commence par C et qui vend des melons…. Un ouvrage générationnel écrit par une jeune fille quasiment surdouée». On pourrait imaginer les auditeurs s’endormir à cette énième présentation, nous sommes arrivés vers 17hoo, ils sont là depuis plusieurs heures, mais à vrai dire, l’assistance dans son ensemble est attentive, prend des notes, compulse les brochures. La présentation se poursuit, Plon a d’autres auteurs aux talents déjà confirmés Leonora Miano, Delphine de Malherbe et j’en passe.

Sortis de cette rencontre, et un intermède caféiné plus tard, nous traversons Paris et nous retrouvons au cocktail organisé pour les libraires de Leclerc où Michel-Edouard, directeur du groupe, fait l’accueil.

Rencontre avec le Président du Groupe Leclerc

Rencontre avec le Président du Groupe Leclerc

Faut-il l’admettre, l’homme et l’heure qui suivra pour Sigolène et Denis sont parfaitement agréables. Autant mon sentiment premier de voir Sigolène devoir se présenter devant ce parterre me paraissait incongru, autant à la sortie de la présentation et du cocktail qui suivra, je comprends la nécessité de l’exercice. 

Les heures à suivre seront différentes. Il y a quelques années, Sigolène a rencontré le directeur adjoint de Grasset, Manuel Carcassonne. Il en est resté une amitié. Cet après-midi, Manuel l’a appelée pour la convier à la remise du Prix de la Coupole. Il est un peu plus de vingt heures, nous arrivons. Le prix a été remis. Nous sommes dans les sous-sols du restaurant éponyme, une ambiance de salle des fêtes. C’est Joseph Macé-Scaron qui a emporté le prix. De l’ouvrage naîtra quelques mois plus tard une polémique dont certains voudront à penser qu’il est le fruit d’un plagiat. Denis Bouchain accompagne Sigolène, tous deux retrouvent Manuel Carcassonne.

Soirée de la remise du Prix de la Coupole en juin  2011

Soirée de la remise du Prix de la Coupole en juin 2011

Conditions de tournage épouvantables ; guère de lumière, un bruit assourdissant délivré par une centaine de personnes et un groupe de rock. Le directeur de Grasset est rapidement entraîné dans d’autres conversations tandis que Denis cherche à retrouver son épouse, attachée de presse dans une autre maison d’édition. Sigolène se retrouve seule. Beaucoup de gens autour d’elle le sont aussi. Ambiance particulière. Ca boit, ça parle fort, des femmes aux allures particulières croisent des messieurs à l’ennui certain. Sigolène s’en étonne devant ma caméra. J’en suis tout aussi surpris qu’elle.  Une heure et quelques images plus tard, Sigolène retrouve Manuel Carcassonne qui la présente à Nathalie Crom, critique à Télérama. L’homme aurait certainement aimé publier Sigolène, son comité de lecture en décidera autrement. J’observerai au cours de ces heures toute la bienveillance qu’il a à son égard.

La journée a été longue et éprouvante. Avant de commencer cette journée marathon, j’ai fait quelques images chez Sigolène, posé des questions, recueilli des confidences. Je cherche. Je cherche sans toujours savoir où je vais. Une nécessité à mes yeux. Serendipity comme disent les anglais.

Dernières images, Sigolène hurle ‘Coupez !’. C’est dit avec humour mais aussi avec fermeté. Ma présence est à certains égards fatigante, voire je pense à ses yeux, agaçante. Difficile d’expliquer toutes mes exigences. Il est près de minuit, je rentre épuisé. J’ai des km d’images et autant de doutes sur la manière dont je les monterai. Ces images avec lesquelles je ferai ma première bande-annonce, celle qui m’ouvrira les portes de nouvelles boîtes de production.

La suite dans quelques jours …